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Les allées d’arbres sont ces voies – chemins, routes, rues, mais aussi canaux – bordés d’alignements d’arbres plantés de manière régulière, qui marquent avec force les paysages européens. Toutes ces allées sont liées à l’art du jardin « à la française », qui leur a donné leur nom : « allé » en norvégien ou en suédois, « Allee » en allemand, « aleja » en polonais etc. Sorties du jardin pour sillonner les territoires depuis le 16ème siècle, elles ont en commun d’avoir été plantées pour mettre en valeur, embellir, marquer le territoire.
Les allées ont depuis longtemps été comparées à des cathédrales végétales, avec leur colonnade, leur voûte, et leurs bas-côtés lorsqu’elles sont doubles. Elles sont aussi des corridors biologiques et des habitats dont le rôle important pour la biodiversité a été documenté lors de la conférence internationale Infra Eco Network Europe à Lyon cet été (www.iene.info).
Instituée en 2008 en Allemagne, la Journée des Allées, le 20 octobre, s’est étendue depuis 2015 à l’Europe. Cette date correspond également à l’adoption, en 2000 à Florence, de la Convention européenne du paysage.
L’objectif de la Journée des Allées est de mettre en lumière ce patrimoine et de contribuer à sa préservation. Les actions sont diverses et peuvent aller de la simple mention publique de la journée jusqu’à des plantations associant des personnalités, en passant par des conférences, ou des évènements sportifs, telle la course cycliste dénommée le « Tour d’Allée » organisée chaque année sur l’île de Rügen, en Allemagne, double hommage à la France, avec l’utilisation du terme « allée » et l’allusion au « Tour de France ». En 2014, un nouvel itinéraire touristique, la Lippische Alleenstraße, empruntant 140 km d’allées, avait également été inauguré à cette occasion en Rhénanie-du-Nord- Westphalie (D).
Les différentes initiatives sont désormais documentées par une galerie photo à l’adresse www.flickr.com/photos/europeanavenueday. Pour y figurer, les photos de ces initiatives seront envoyées à EuropeanADay@european-avenues.eu.
Cette année, en Allemagne, le lauréat du concours photographique et surtout le nom de l’« allée préférée » de l’année seront dévoilés par le BUND. Dans le Bade-Wurtemberg, la secrétaire d’Etat aux finances du Land s’exprimera, dans les jardins du château de Bruchsal, sur l’intérêt du réseau d’allées historique. En Italie, Legambiente organisera diverses actions de sensibilisation. En République Tchèque, une nouvelle allée sera plantée par ARNIKA en Moravie-Silésie. En France, la SPPEF (Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France) lancera l’édition 2017 du « Prix des allées ». La commune de Beaurecueil (Bouches-du-Rhône), lauréate 2016 du prix, organisera un apéritif le long de son allée de mûriers. L’association du Gothique Frémissant, également lauréate, exposera, avec la commune d’Heudicourt (Eure) et la Communauté de communes du canton d’Etrepagny, des photos d’allées françaises et européennes. Dans les Vosges, à Trampot, Chantal Pradines donnera une conférence sur la riche dimension culturelle des allées. Le CAUE et le Conseil départemental de l’Allier placeront une réunion de travail sous le signe de la Journée Européenne des Allées, tandis que dans le Gers, l’ASPPAR (Association pour la Protection des Arbres en bord des Routes) invite à faire une photo des Promenades de Condom.
Alors que la France vient d’inscrire la protection des allées dans le Code de l’environnement, ces évènements sont une application concrète de la « mise en valeur spécifique » à laquelle le nouvel article. L.350-3 invite.
Pour en savoir plus
Cabinet All(i)ée
Chantal Pradines
Ingénieur Centrale Paris. Expert indépendant auprès du Conseil de l’Europe
Tél. 03 29 06 78 50 chantal.pradines@centraliens.net
LES ALLÉES, UN PATRIMOINE EUROPÉEN EN VEDETTE
400 ans d’histoire
L’histoire des alignements d’arbres de bord de route, de rue, de chemin, de canaux en Europe commence au milieu du 15ème siècle : la double file d’arbres plantés régulièrement est un instrument parfait pour appuyer les perspectives, essentielles à l’aménagement des jardins ordonnés de la Renaissance puis des jardins « à la française » du 17ème siècle. Elle guide le regard vers ce que l’on veut mettre en valeur, l’entrée de la demeure, une statue ou une fontaine dans le jardin. Dès le 16ème siècle, l’allée d’arbres sort du jardin, plantée sur deux, trois, cinq kilomètres… : l’allée montre la richesse et l’étendue des terres de celui qui fait planter.
A la même époque, on plante aussi des allées sur les remparts et aux portes des villes, sous forme de mails et de promenades, tandis que les premières ordonnances imposent la plantation d’arbres le long des routes de campagne.
La plantation d’allées se perpétue au 18ème siècle et se renforce au 19ème, lorsque les boulevards qui remplacent les fortifications sont plantés à leur tour en allées, tout comme les avenues des grandes villes destinées à lutter contre l'insalubrité et les difficultés de circulation, les allées des cimetières, les accès aux gares, aux écoles etc.. Elle se poursuit principalement jusqu’au milieu du 20ème siècle.
Un patrimoine culturel lié au jardin « à la française »
Quel que soit leur contexte, le lieu, l’époque, ces plantations répondent aux codes définis dans les traités des jardins du 17ème siècle. L’espacement des arbres sur la ligne et entre lignes, les proportions, donnent naissance à une « architecture », commune, très tôt comparée à celle des cathédrales, avec la colonnade, la voûte, la transparence des « fenêtres » ouvertes sur le paysage entre les troncs.
Chaque allée a toutefois son identité propre : selon les lieux, selon les époques, les essences d’arbres varient. La lumière changeante, les saisons, le vent animent chaque allée et lui donnent un cachet toujours renouvelé.
L’objectif affiché des plantations est esthétique, y compris lorsque d’autres motifs, utilitaires - produire du bois, délimiter la voie, guider et protéger le voyageur etc. - entrent également en jeu. Projet de jardin et projet de paysage à l’échelle du pays sont imbriqués : les observateurs des 18ème et 19ème siècles comparent d’ailleurs les routes plantées des campagnes aux allées de jardins.
La France, avec le rayonnement du jardin « à la française », a joué un rôle déterminant dans la diffusion de ces plantations dans toute l’Europe. Ce rôle lui est reconnu encore aujourd’hui, avec l’usage du terme français « allée » dans de nombreux pays. Le fait d’utiliser ce terme, issu des traités des jardins, pour désigner une voie et ses alignements d’arbres, quelle que soit la nature de la voie, souligne le lien qui rattache toutes ces plantations au jardin « à la française ».
Un patrimoine porteur de sens et créateur de liens
La dimension culturelle des allées, qui les rattache à une histoire, donne du sens au paysage, permet de comprendre pourquoi on a planté des arbres.
Le caractère universel de leur « architecture » a un fort pouvoir évocateur, celui du symbole. Qui voit une allée associe d’autres images d’allées, d’autres lieux, d’autres temps. Après la 1ère Guerre mondiale, des « allées de mémoire » ont ainsi été plantées dans certains pays du Commonwealth en guise de « monument aux morts » : elles rappelaient les longues routes françaises bordées d'arbres qui avaient tant marqué ces jeunes soldats étrangers avant qu’ils ne meurent sur le front. Les arbres constituaient aussi une représentation de la victoire de la vie sur la mort, se prêtant mieux que le marbre à un hommage aux victimes.
L’allée crée du lien dans le temps, le lien de l’histoire générale des allées et celui de l’histoire particulière de chaque allée. Certaines se perpétuent depuis plusieurs siècles moyennant, le cas échéant, des replantations. C’est le cas de l’« allée de la Motte », à Joué-du-Plain (Orne), plantée au 17ème siècle, replantée à neuf à la fin du 18ème siècle, et qui vient d’être renouvelée dans la même logique qu’il y a 200 ans. L’Association de Sauvegarde du patrimoine de Joué-du-Plain a été désignée lauréate du « Prix des allées 2016 » de la SPPEF.
L’allée crée du lien dans l’espace : elle relie deux lieux, voire beaucoup plus : l’itinéraire touristique allemand mis en place en 1992, la Deutsche Alleenstrasse, s’étend aujourd’hui sur 2 900 km.
L’allée crée du lien entre les hommes : depuis 2006, chaque année, divers pays accueillent des conférences ayant pour thématique les allées ; certains acteurs européens se retrouvent depuis 2012 au sein d’un groupe de travail informel. Localement, aussi, des citoyens se réunissent autour d’une allée spécifique, pour veiller à sa préservation, tels les parrains engagés auprès du BUND (Amis de la Terre Allemagne) ou les membres de l’association « Pelouse et Environnement » à Montgeron (Essonne), autre lauréate du « Prix des allées 2016 ».
Le lien créé peut avoir une portée symbolique forte. A l’initiative du BUND et de la fondation polonaise FER (Fundacja EkoRozwoju), une route transfrontalière est devenue en 2014 la première allée germano-polonaise. Le panneau qui la signale porte la mention « Des allées, pas des frontières ». Ce 20 octobre, l’Association du Gothique Frémissant, également lauréate du « Prix des allées 2016 » réalisera, avec concours de la commune d’Heudicourt (Eure) et de la communauté de communes du canton d’Etrepagny, une exposition mettant en résonance l’« allée-cathédrale » d’Heudicourt et l’allée de mûriers de Beaurecueil (Bouches-du-Rhône) - la commune de Beaurecueil est également lauréate du « Prix des allées 2016 » - ainsi que des allées d’autres pays européens illustrées dans l’ouvrage collectif « Avenues in Europe. Yesterday, today and tomorrow » paru en 2015.
Un patrimoine naturel en adéquation avec les enjeux contemporains
Les arbres des allées précipitent les poussières et réduisent les concentrations en polluants tels les oxydes d'azote, l’ozone ou les PCB. Ils abaissent les températures et réduisent les consommations de carburant, par une diminution de l’usage de la climatisation et des évaporations des réservoirs. A cela s’ajoute leur rôle de puits de carbone.
Les allées sont particulièrement précieuses pour la préservation de la biodiversité. Une session a été dédiée à ce sujet à la conférence internationale Infra Eco Network Europe 2016 coorganisée notamment par le ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer et la Fondation pour la Recherche sur la biodiversité. La dimension verticale des allées, leur voûte, leur structure linéaire en font des postes de retrait et d’observation, des ouvrages de franchissement, des corridors de déplacement. La variété des ambiances physiques entre intérieur et extérieur, entre partie inférieure et supérieure, et l’exceptionnelle stabilité de la structure « allée » - liée à la constance de la voirie -, et la longévité des arbres qui les constituent - soustraits à une gestion sylvicole - jouent un rôle déterminant pour de très nombreuses espèces des Listes rouges (insectes, lichens, mousses notamment).
Les allées ont un effet positif pour la sécurité routière, comme l’ont montré diverses études françaises et étrangères. Il se traduit par une conduite « apaisée » : abaissement significatif de la vitesse, plus grande tolérance à la frustration, prudence accrue. Cet effet positif est largement ignoré car il est impossible de comptabiliser le nombre de victimes évitées grâce aux allées. Il est lié au caractère esthétique des allées et à leur capacité à signaler efficacement les virages, carrefours, entrées d’agglomérations et à rendre la vitesse perceptible par le défilement des arbres.
Il a pu être démontré que le risque d’être tué dans un territoire donné ne dépendait pas de la richesse de celui-ci en arbres d’alignement. La plantation d’allées d’arbres n’est donc nullement incompatible avec l’existence d’un haut niveau de sécurité sur les routes.
Les allées d’arbres, un patrimoine apprécié et créateur de valeur
L’esthétique des allées, leur capacité à faire sens et à créer du lien, qui est liée à leur dimension culturelle, leur intérêt comme patrimoine naturel sont à la fois mobilisateurs et créateurs de valeur.
Les allées sont appréciées, comme le montrent l’avis positif unanime du Jury citoyen organisé en 2006 en Meurthe-et-Moselle, le large panel de personnalités éclairées soutenant le Manifeste européen pour les allées, les « sondages » en France et à l’étranger.
Les allées sont mobilisatrices : les lauréats du « Prix des allées 2016 » de la SPPEF sont parvenus à mobiliser des fonds importants issus du mécénat ou de dons de particuliers. Dans plusieurs pays européens, de grandes associations spécialisées dans la défense de l'environnement, du patrimoine culturel, la promotion de l'arbre ou le paysage s’associent pour rappeler l’intérêt de ce patrimoine.
Les allées sont créatrices de valeur, par l’activité économique liée aux arbres - de la pépinière aux élagueurs en passant par les experts en arboriculture ornementale -, mais aussi comme support touristique, avec des itinéraires et des offres d’opérateurs, en particulier en Allemagne.
2016, une année importante pour les allées d’arbres en France
Depuis cette année, en vertu de l’article L. 350-3 du Code de l’environnement, les allées et alignements d’arbres bordant les voies sont désormais protégés en France. La France a ainsi rejoint les pays qui disposaient déjà d’une protection systématique pour les allées, tels que le Luxembourg, la Pologne, la Suède, l’Allemagne etc.
Il est désormais interdit d’abattre, de porter atteinte, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres sauf dans certains cas particuliers : lorsqu’il est démontré que l’état sanitaire ou mécanique des arbres présente un danger pour la sécurité des personnes et des biens, ou un danger sanitaire pour les autres arbres, ou bien lorsque l’esthétique de la composition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être assurée par ailleurs. Des dérogations peuvent également être accordées pour les besoins de projets de construction.
2016 est aussi la première année où des lauréats ont été récompensés pour leurs actions en faveur des allées : le « prix des allées 2016 » déjà mentionné a été remis à Lyon le 31 août dernier par Alexandre Gady, président de la SPPEF (Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France), en présence de Patrick Brie, représentant le ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, et de Maguelonne Déjeant-Pons, représentant le Conseil de l’Europe. Cinq lauréats ont été récompensés : à ceux déjà cités s’ajoute le conseil départemental de la Haute- Garonne, pour sa politique générale de gestion de ses allées d’arbres.
Pour en savoir plus
Cabinet All(i)ée
Chantal Pradines est ingénieur diplômée de l’École Centrale de Paris. Après avoir travaillé dans les travaux publics et la communication, elle a créé le cabinet All(i)ée en 2008 pour œuvrer à la promotion des allées d’arbres en France et en Europe. Expert auprès du Conseil de l'Europe dans le cadre des travaux sur la Convention Européenne du Paysage, elle a à son actif une centaine d’articles et de communications dans des revues françaises et internationales et dans des congrès et séminaires dans une dizaine de pays d’Europe. Elle est conseillère scientifique du projet franco-canadien « La mémoire du paysage - Le rapatriement des Chênes de Vimy » et a présidé le jury du « Prix des allées 2016 » de la SPPEF.
Contact : Tél. 03 29 06 78 50 ; chantal.pradines@centraliens.net
Quelques liens et références utiles
Brückmann, K. (éd). : Avenues in Europe. Yesterday, today and tomorrow. 2015
Pradines, Ch.: Infrastructures routières : les allées d’arbres dans le paysage in Facettes du paysage. Réflexions et propositions pour la mise en œuvre de la Convention européenne du paysage. Editions du Conseil de l'Europe, 2012, p. 117-196 (disponible en ligne sur le site du Conseil de l’Europe)
Pradines, Ch., Marmier, F. : Infrastructures. Alignements d'arbres et sécurité routière. Revue Générale
des Routes et de l’Aménagement n° 891, 2011, p. 55-63
Pradines, Ch. : La route bordée d’arbres - entrée et sortie de la Grande Guerre. Rétro Tourisme - Automobilisme, Patrimoine & Transports, n° 2, 2014, p. 60-61
Pradines, Ch. : Les allées d’arbres, voies royales pour la biodiversité. La Revue Durable, n° 52, 2014, p. 58-61
Pradines, Ch. : L'allée d'arbres : route touristique par excellence ? Rétro Tourisme - Automobilisme,
Patrimoine & Transports, n° 3, 2015, p. 44-47
Pradines, Ch. : Des allées dans le jardin Europe : les routes bordées d’arbres. Sites & Monuments, n°
222, 2015, p. 33-41